Allez, on va pas minauder, je reproduis ici le texte des "Cahiers de la chanson" qui raconte à merveille ce moment d'anthologie radiophonique.
Paris, lundi 6 janvier 1969, jour de relâche pour les artistes. Un petit appartement de la rive gauche, au premier étage d'un immeuble de la rue Saint-Placide... La pendule du salon marque 16h28 lorsque retentit un premier coup de sonnette : c'est Georges Brassens. 16h30, seconde sonnerie : Jacques Brel. 16h32 : Léo Ferré. L'affaire a été réglée comme du papier à musique !
Ponctuels au rendez-vous, les trois hommes - accueillis par François-René Cristiani et Jean-Pierre Leloir (décédé le 20.12.2010) - sont visiblement ravis de se trouver réunis. Ferré en particulier, que l'idée d'une telle rencontre avait aussitôt séduit.
"Alors, qu'est-ce qu'on va bien pouvoir dire... comme conneries ?", plaisante Brel, en s'installant. Cristiani s'assied à sa droite, Ferré et Brassens à sa gauche. Leloir, qui est arrivé sur place dès 15 heures pour installer son matériel, tourne autour de la table... ronde, pour effectuer ses derniers repères. En attendant, Philippe Monsel - son assistant - immortalise la scène [voir photo page 145 de la revue] en photographiant les trois monstres sacrés et les deux journalistes...
Sur la table, des boissons et du tabac: de la bière pour tout le monde, des Gitanes pour Brel, des Celtiques pour Ferré, du tabac bleu pour Brassens; Cristiani (qui lui aussi fume la pipe) et sa femme Claudette ont bien fait les choses. Des micros, le magnétophone Uher du journaliste posé sur un guéridon et un autre magnéto avec un technicien, dans une pièce adjacente, pour recueillir des extraits qui seront diffusés - sur RTL - quelques jours plus tard.
LE TEMPS NE FAIT RIEN À L'AFFAIRE
Tout est en place. Leloir avec deux appareils (un 24 x 36 et un 6 x 6 que son assistant va recharger régulièrement), Cristiani avec ses notes, sa bouffarde... et son trac. "J'étais dans mes petits souliers [rire], ça s'entend du reste à la première question: ma voix est vraiment blanche, c'est terrible..." En intro, le jeune journaliste (il n'a que vingt-quatre ans) souligne le caractère inédit de la rencontre. Brel acquiesce, amusé : "Vous êtes le seul à avoir réussi ce tour de force !"...
Un tour de force qui aura réclamé du temps, de l'énergie et de la volonté. Mais surtout, il fallait y croire ! Près de trente ans après, réunis par et pour Chorus, les deux "héros" de cette journée, Cristiani et Leloir, se remémorent l'événement et sa longue préparation. "Il n'y a aucune nostalgie dans cette affaire, assure Jean-Pierre Leloir, seulement la conviction que cette rencontre reste une grande leçon d'humanité... en considérant, bien sûr, la forte personnalité de ces trois artistes et leur sens inné de la provocation." Cristiani confirme : "On ne peut pas évacuer les propos de ces trois bonshommes en disant, simplement, que c'est un coup de nostalgie; je crois au contraire qu'ils sont formidablement actuels parce qu'ils sont politiquement (et délicieusement) incorrects et parce qu'ils ont un vrai fond, avec beaucoup de modestie, le sens du travail, etc. Ce sont des gens qui savent exactement ce qu'ils disent - on dirait aujourd'hui qu'ils conceptualisent -, mais aussi des personnages qui brûlent, qui provoquent, et tout cela sous l'humour, les éclats de rire, ce qui ajoute du talent à la richesse du message".
Deux heures non-stop, ponctuées du bruit de la pipe de Brassens cognant sur le cendrier, où il sera question de la chanson bien sûr, du métier, de la création, de la scène et du disque, de Gainsbourg, des hippies et des Beatles (Brel : "ils ont ajouté une pédale charleston aux harmonies de Fauré.." !), mais aussi de la vie, de l'amour et de la mort, de l'argent, de la liberté, de la solitude et de l'anarchie, de l'enfance, des adultes et puis des femmes...
"C'est ma femme, justement, raconte Cristiani, qui a eu l'idée, dans la foulée de Mai 68, à la suite d'un concert de Ferré à la Mutualité, je crois... J'étais un ancien de Jazz Hot, je collaborais alors à Rock & Folk qui n'avait que deux ans d'existence et je venais de rendre un travail sur Brel au Centre de formation des journalistes où, parallèlement, je suivais des études... Comme j'avais déjà interviewé Félix Leclerc, Montand, Nougaro, etc., pour Rock & Folk (qui, à l'époque, s'intéressait beaucoup à la chanson), ma femme m'a suggéré cette idée un peu folle, pour la bonne et simple raison que c'était les trois grands et que je n'en avais encore interviewé aucun..."
Cristiani alors en parle un peu partout autour de lui, à toutes les grandes radios d'abord, mais personne ne le prend au sérieux... "jusqu'à ce que je suggère l'idée à Philippe Koechlin (3), le rédacteur en chef de Rock & Folk, qui, aussitôt, me dit : Oui, vas-y, c'est une super idée et on fera la couverture avec si tu y arrives !ª (4). C'est le seul qui m'ait encouragé, je lui dois beaucoup car c'est porté par l'aura de Rock & Folk, à l'époque, que j'ai pu mener à bien cette idée complètement folle".
Ferré est le premier contacté. "Il a tout de suite été très demandeur : leur date sera la mienne, etc., sans doute parce que, s'il y avait déjà une complicité avérée entre Brel et Brassens, avec Ferré ils n'avaient fait que se croiser."En septembre, Cristiani va en parler à Brel au studio Hoche où il est en train d'enregistrer "J'arrive", "Vesoul", etc., en profitant d'un reportage de Leloir. Et le Grand Jacques donne son accord de principe. Réponse identique de Brassens, qu'il avait déjà rencontré, en 67 à Bobino, toujours avec Leloir : "J'ai confirmé tout ça par lettre en novembre 68 et ça n'a pas traîné puisqu'une première date a été fixée, le 14 décembre. Il y a eu un empêchement d'un des trois... et on a fixé une nouvelle date, juste après les fêtes, dans un endroit neutre et convivial, comme ils le souhaitaient." Et comme Jean-Pierre Leloir est l'un des fondateurs de Rock & Folk... et que - tout se recoupe - François-René Cristiani venait de temps à autre se faire "quelques sous" chez lui, "en classant et archivant des photos de chanteurs, plutôt que de faire le pompiste pendant les vacances", ce 6 janvier 1969, rien de plus naturel que de les retrouver tous les deux... "Pour les photos, il n'y a eu aucune espèce de préalable, dit Leloir: Brel et Brassens me connaissaient bien, Léo un peu moins, c'est vrai, mais les rapports que j'entretenais, depuis longtemps déjà, avec les deux premiers ont fait que j'ai pu travailler dans une confiance totale".
Fred HIDALGO pour les "Cahiers de la chanson" dans Chorus
La Table Ronde
Entretien Christiani
Sources : brassensbrelferre - Chorus / stanislaskazal
La Table Ronde: Interview de Jacques Brel, Georges Brassens et Léo Ferré - 6 January 1969
mp3 | Radio broadcast | 1:05:40 + 00:07:05 | 67MB
mp3 | Radio broadcast | 1:05:40 + 00:07:05 | 67MB
Mise à jour du lien : 01.02.2012
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Ce blog est sublime , merci de le partager
RépondreSupprimerbisous paula
Merci beaucoup Paula...
SupprimerCe post est un des plus consultés du blog et c'est le premier commentaire ! Je suis ému du compliment, bienvenue sur Namaste.
En espérant que vous trouverez ici quelques "petits bonheurs"
Bisous itou
C'est moi qui vous remercie
SupprimerBisous Paula
Jacques Brel, Georges Brassens et Léo Ferré Chef-d’œuvre de la chanson Française .
RépondreSupprimerMerci infiniment pour ce sublime partage
Amicalement Paula
J'adore Brel je suis fan chacune de ses chansons me transporte dans une histoire que seul lui a la faculté de nous raconter, des histoires plus ou moins belles mais toujours véritables pleines d émotions et de sincérité..
RépondreSupprimerMerci pour lui, pour eux pourvus qu'on ne les oublis jamais.
@Anonyme
RépondreSupprimerMerci pour le commentaire, quant à l'oubli, don't worry, ce post est dans le trio de tête des articles les + consultés de ce blog ;-)
Bonjour,
RépondreSupprimerVoici qu’approche le vingtième anniversaire de la disparition de Léo Ferré (14 juillet).
Michel J. Cuny et Françoise Petitdemange vous offrent cette vidéo réalisée dans le massif du Vercors :
http://youtu.be/5Zo5WpwU4XA
Vous pouvez également consulter :
http://petitdemangecuny.canalblog.com
Contact :
mjcuny.fpetitdemange@orange.fr
Très cordialement à vous,
Michel J. Cuny – Françoise Petitdemange
8e commentaire
RépondreSupprimer"tu es l'ami du meilleur de moi-même."
G.B. à un ami
& "bisou itou"